58 - ACT (Australian Capital Territory) - CANBERRA

Canberra n’est sûrement pas la ville la plus populaire ou touristique du pays. Peu de backpackers s’y arrêtent et ceux qui osent doivent sûrement trouver cette capitale étrange voire peu attrayante… C’est en tout cas l’impression que nous avons eu en circulant au milieu de ces rues distendues, aux largeurs égalant celle d’avenues, loin de l’échelle piétonne habituelle, ou encore en empruntant les axes de circulation imposants, dessinés telle une grille géométrique où chaque croisement est occupé par un édifice monumental, qui semble trôner là comme une sculpture au milieu de sa pelouse, sans personne pour lui faire de l’ombre. Chaque bâtiment y est ainsi magnifié, mis en scène.
On se doute que derrière ce plan de ville bien conceptuel se cache une explication, une histoire… Notre curiosité s’est trouvée suscitée ! Alors, tandis que nous visitions Canberra une semaine durant, jour après jour nous en faisions aussi l’apprentissage et avons finalement apprécié la découverte.

Lorsqu’en 1901 les colonies australiennes décident de former une fédération d’Etats, la question du choix de la capitale se présente : Sydney ou Melbourne ? Que nenni ! Les deux rivales le resteront puisqu’après tergiversations, en 1908, c’est le territoire de Canberra (ACT) qui est élu. Signifiant « lieu qui rassemble » dans la langue aborigène locale, l’endroit se situe à mi-chemin des deux villes et à l’intérieur des terres (entouré par l’Etat du New South Wales). Il possède déjà quelques constructions et fermes de colons s’y étant installés vers 1825.
Un concours international d’urbanisme est lancé et remporté par un couple d’architectes américains en 1911 : Walter Burley Griffin et Marion Mahony Griffin. Le projet repose sur le principe d’une ville en harmonie avec la nature et tire directement parti du paysage et relief environnant pour mettre en scène les institutions qui la composent. Les axes principaux définissent un triangle qui renferme tous les bâtiments importants de la ville. La rivière Molonglo traverse originellement ce triangle, remaniée en une succession de bassins ornementaux, plaçant l’eau au cœur de la ville comme élément d’équilibre indispensable. C’est aujourd’hui un lac artificiel portant le nom de l’architecte. Les zones résidentielles se développent autour de cet ensemble, par pôles plus ou moins importants.  

Pour l’histoire, le couple Griffin vint s’installer en 1914 en Australie lorsque Walter fut nommé « Directeur du dessin et de la construction de la capitale fédérale ». Mais la progression du chantier est très lente, ralentie par des méandres bureaucratiques et critiques de certains jugeant le projet trop extravagant. En 1916, une commission royale met en doute l’efficacité de Walter en tant que directeur. Il finit évincé du projet en 1920. La construction de Canberra pâtit des deux guerres mondiales et stagne quelque peu jusque dans les années 1950, puis connaît une nouvelle expansion pendant les 60s sous la Commission pour le Développement de la Capitale Nationale. Aujourd’hui, la ville compte environ 400 000 habitants, c’est une cité aérée dont le plan ne ressemble à aucune autre en Australie. 

Le plan guide de la ville et les principaux bâtiments du "triangle parlementaire" 

Depuis Mont Ainslie, nous percevons les axes importants du plan de Griffin

Le Nouveau Parlement et le War Memorial se font face. Le Mont Ainslie domine l'ensemble 


Laissez-vous embarquer dans la suite de cet article comme dans un bus touristique, nous partons faire la tournée des Canberra’s building 😊

Commencer par le Nouveau Parlement était obligatoire puisque ce bâtiment est le plus visible de la ville. Il trône sur « Capital Hill » et son architecture particulière nous interpelle directement. D’extérieur, nous pouvons percevoir de longs murs monolithiques réhaussés d’une étrange structure métallique démesurée, vouée à soutenir le drapeau australien. Un peu mégalo ?! Une visite guidée courte mais de qualité nous en apprend plus sur ce bâtiment atypique. 
Achevé en 1988, le New Parliament prend la suite du Old Parliament après dix ans de projet et plus d’1,1 billions de dollars dépensés. A nouveau, ce bâtiment fut édifié suite à un concours international remporté par l’architecte italien Romaldo Giurgola, l’un des membres de « l’Ecole de Philadelphie » porteuse du mouvement de l’Architecture Moderne (dont le célèbre Louis Kahn faisait aussi parti pour les connaisseurs).
Tout, dans la conception du Parlement, porte une signification. Aucun détail, aucun matériau n’est laissé au hasard.
Entre autres anecdotes, nous apprenons que les 13 doubles portes vitrées qui mènent au bureau du Premier Ministre sont également situées sur « l’Axe de la Terre ». Ainsi, si un acte de guerre devait être signé dans le futur, les portes seraient laissées ouvertes afin que ce dernier ait une vue directe au loin sur le Mémorial de la Guerre, l’obligeant à bien mesurer l’importance d’une telle décision.
Egalement, afin que le Parlement ne dépasse pas l’altitude du Mémorial de la Guerre (pour des raisons symboliques), il a fallu creuser la colline qui l’accueille et enterrer en partie le bâtiment. La toiture végétalisée rappelle alors l’histoire de cet emplacement. 


Cette mosaïque au sol reprend une peinture aborigène commandée spécialement pour le Parlement, représentant l’Australie de façon symbolique. La terre rouge du centre, l’eau, élément sacré qui l’encercle et les empreinte des animaux emblématiques du pays tout autour. 


Le Hall principal ouvert au public

Le Parlement réalisé en Lego, une façon pratique d'expliquer le lieu !
Le Sénat, paré d'un rouge-rose précis, symbole de la lumière australienne particulière du "red center"

Le toit végétal du Parlement est accessible au public

Lors de notre séjour, nous avons aussi eu la chance d’assister au lancement du Festival des Lumières « Enlighten » ayant lieu chaque année dans la capitale, avec des projections vidéos chaque soir sur tous les bâtiments importants du centre-ville. A cette occasion, l’Ancien Parlement (Old Parliament) était visitable en nocturne, avec une ambiance festive dans le grand hall ! Ça nous a rappelé quelques soirées au Havre comme la fameuse « Nuit des Musées ». 
L’ancien Parlement, qui aurait dû être démoli lorsque le Nouveau fut achevé, est finalement devenu un musée, s’exposant lui-même. On circule dans le bâtiment dans une ambiance vintage puisque chaque bureau a gardé ses fournitures et accessoires de l’époque. Machines à écrire, sièges, fauteuils, vieilles moquettes, cendriers remplis de cigarettes, dossiers éparses … Nous nous sommes pris au jeu et avons passé une bonne partie de la soirée à flâner de salles en salles 😊

La mère Noël au premier plan, c'est cadeau !

Le gouvernement occupa ce parlement provisoire de 1927 à 1988

Bureau de Bob Hawke, dernier Premier Ministre a avoir travaillé dans l'Ancien Parlement (cette phrase est compliquée, je vous l'accorde !)
Atelier "machine à écrire" pour Valentin et moi, nous avons rédigé une lettre pour les successeurs du van ;)

On se prend CARREMENT au jeu !

Ca faisait longtemps que nous n'avions pas eu une sortie en soirée !
L'occasion de tester des "gaufres spéciales" salées asiatiques au Noodle Market du festival (logique)
 

A défaut de les voir en vrai ...

La visite de l’Australian War Memorial fut un moment marquant. Dès l’arrivée, une atmosphère solennelle règne dans ce lieu à la symbolique très forte. Déjà, par son emplacement au-dessus de la ville et à l’extrémité de l’impressionnante avenue « Anzac Parade », ce bâtiment semble hors du temps. Passé le fronton, une cour intérieure conçue comme un cloitre se déploie et dévoile sa beauté, cachée des regards extérieurs. Le visiteur est coupé du reste de la ville, son esprit se dédie uniquement au moment présent. Il a face à lui un bassin recevant la flamme éternelle, encadré par deux galeries aux arches délicates, et pour unique échappée, le ciel. Au fond, des escaliers mènent au dôme. C’est la pièce maîtresse du mémorial, abritant la tombe du soldat inconnu. La lumière y est filtrée par des vitraux bleutés dont la teinte contraste radicalement avec la coupole dorée éclatante. En s’approchant des murs, le niveau de détail change : ceux-ci sont tout de mosaïques revêtus, avec une finesse absolue dans le choix des teintes. Magnifique.




Les allées Est et Ouest portent les noms des morts des deux guerres mondiales. Les tableaux d'honneurs sont ornés de coquelicots rouges, symbole de la Grande Guerre et hommage aux défunts.



Wikipédia nous apprend que : " Les mosaïques et vitraux sont le travail d'un peintre muraliste australien, 
Nappier Waller, qui a perdu son bras droit à Bullecourt (1ère G.M) et a appris à écrire et à créer ses oeuvres avec son bras gauche."

Une fois la zone commémorative parcourue, nous découvrons en souterrain tout l’espace muséal du mémorial, et il y a de quoi faire ! Le musée retrace notamment toute l’histoire des deux guerres mondiales et une extension construite plus récemment, le Anzac Hall, prolonge la visite en exposant des engins et avions militaires originaux. Il nous aura fallu pas moins de trois après-midi pour en faire le tour complet ! De quoi se remémorer nos cours d’histoires passés …

Une discrète galerie de verre relie le Mémorial d'origine et son extension

Objets et propagande de la première guerre mondiale

Le musée offre une scénographie de qualité. Il présente par exemple certaine maquettes impressionnantes de reconstitution de scènes de batailles

Sur la rive Sud du Lac et à l’Ouest du Parlement se développe le quartier des ambassades. La ville en dénombre 70 au total mais 33 sont situées ici à proximité les unes des autre. Nous en avons fait le tour en van, en essayant de deviner les pays représentés grâce au style architectural spécifique de chacune. L’ambassade française n’était pas vraiment sexy (je ne poste même pas de photo de celle de l’Union Européenne, c’était la plus laide !), tandis que d’autres ont carrément la classe comme l’ambassade indienne. L’américaine était facilement reconnaissable : la seule avec des gardes postés tous les 20 m ! 

Je vous laisse trouver la France...

L’ambassade aborigène, en revanche, s’est autoproclamée juste en face de l’Ancien Parlement. Occupation de protestation, elle est constituée de baraques de tôles ondulée et d’un campement de tentes plantées sur la pelouse. Cette installation date de 1972 et est occupée en permanence depuis 1992.




Les édifices importants de la ville affichent des architectures monumentales, très tramées et certaines façades ne sont pas sans nous rappeler quelques édifices havrais… Mal du pays ou réelles similitudes ? A vous d’en juger !

La National Library of Australia, conçue par Bunning et Madden



Un bâtiment très photogénique, où nous avons passé nos deux premières journées pour terminer un travail reçu en architecture.

Et sur le toit, la piscine ! Ou pas ...

Un petit air du Casino du Havre, non ?! 

Lors du Festival des Lumières

La Haute Court d'Australie se situe à côté de la Bibliothèque Nationale. Construite selon le style "brutaliste moderne", elle affiche une immense façade de verre cadrée de béton brut, laissant deviner un atrium intérieur démesuré. Ici encore, la géométrie monumentale est de rigueur. 

The High Court of Australia, son parvis d'accès et sa cascade

Sur la même ligne, on trouve également la National Art Gallery, construite par les mêmes architectes : EMBT (Edwards Madigan Torzillo et Briggs). L’emploi du béton est à nouveau magnifié, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bâtiment où l’on trouve des murs de béton finition « bouchardée » (sensation de retrouver notre béton Perret ?!). La visite fut des plus agréables, traversant à la fois des collections d’art aborigène local et d’autres incontournables internationaux qu'on ne se lasse pas de redécouvrir.



La structure triangulée du plafond se prolonge en intérieur du bâtiment

Valentin, sceptique devant Pollock !!! Ce petit est perdu !

Je retiens tout de même deux coups de cœur. Le premier est pour l’œuvre de l’artiste japonaise Yayoi Kusama, dont j’espérais un jour voir le travail « en vrai », l’ayant découverte sur internet il y a quelques années. La pièce dédiée à son installation est une vraie pépite !

Un volume cubique revêtu de miroirs trône au milieu d'une pièce bariolée de pois noirs sur fond jaune.
Une minuscule ouverture dans le cube révèle son monde intérieur: un univers de lanternes-citrouilles à n'en plus finir !
 

Le deuxième est pour l’installation permanente de James Turrell dans le jardin du musée : « Within Without ». Une longue passerelle invite le spectateur à pénétrer dans un espace de méditation intérieur / extérieur, aux murs couleurs rouge ocre, coupé du reste de la ville. Là, un volume de basalte est planté au milieu d’un bassin bleu turquoise. A l’intérieur, une pièce blanche circulaire ne comporte qu’une seule ouverture : un oculus cadrant le ciel. Le spectateur peut alors s’asseoir et questionner ce rapport au ciel, à travers cette perception nouvelle, abstraite, qu’il en a.  




Plus loin dans notre parcours de la ville, deux bâtiments massifs sont positionnés de façon symétrique de part et d’autre de « l’Axe de la Terre » : le Trésor Public, dont certaines perspectives nous rappellent celles d’îlots Perret et le John Gorton Building qui abrite le ministère des finances. Ces deux constructions sont intéressantes dans leur conception car chaque façade est traitée avec la même importance, la même qualité de détail. Il n’y a pas d’idée d’avant ou d’arrière du bâtiment. On peut faire le tour des ensembles à pied et se demander où se trouvent les entrées principales !  

The Treasury

Je suis sûre que l'espace d'un instant, vous vous pensiez au Havre !

The John Gorton Building - JGB




La visite du National Museum m’a, en revanche, laissée perplexe. Plantée sur la péninsule du Lac Griffin, nous avions d’abord aperçu de loin cette construction qui s’est révélée tout aussi étrange de près. Dès l’entrée, l’amas de couleurs, formes et matériaux offrent une perception compliquée du lieu. Trop complexe à mon goût… Il s’avère que cette conception extravagante est en réaction aux traditionnels musées conçus comme des «  boîtes noires », froids et accessibles seulement aux initiés. Ici, les architectes ont souhaité que le musée s’expose lui-même, qu’il soit une expérience facile d’accès et ludique, offerte à tout public. Le dessein est certes louable mais je suis restée, pour ma part, hermétique à la forme qu’il prend. En tout cas, quoique l'on en pense, chaque élément possède une explication, évoque l'histoire du pays ou s'inspire d'autres architectures mondialement connues. 


L'accès au Musée

Les architectes ont développé "la ligne Uluru", un chemin symbolique partant du hall rougeoyant, passant à travers la boucle de 30m de haut
et terminant plus loin au niveau de l'Institut Australien des Etudes Aborigènes

Ces détails intérieurs du hall principal sont clairement inspirés de l'Opéra de Sydney.
Ce jour-là, un "show" avait lieu, une cérémonie de drapeaux traditionnelle italienne ... Une première pour nous et quelque peu étrange !!

Cet ajout récent (encore une nouvelle forme !) abrite le café-bar du musée

Le centre du bâtiment est occupé par "le jardin des rêves australiens", un espace de promenade agrémenté d'un bassin

L'extension récente accueille l'administration du musée. Les façades s'inspirent du QR code renvoyant au site internet de ce dernier ...

La "ligne Uluru" se termine par un ruban ondulé qui pointe "conceptuellement" vers le réel site Uluru, situé dans le "red center" australien

Pour finir notre tour Canberresque, nous nous sommes promenés dans les quartiers animés du Civic (centre-ville), Acton en faisant un petit détour par son hôtel de luxe 5 étoiles, le Ovolo Nishi Hotel (juste dans le hall, ne vous enflammez pas !) et Kingston, au bord des quais. 
Il faut bien dire que tout l’intérêt de la ville réside dans ses institutions, le reste nous a moins séduit. Mon absence de photo en témoigne...
Je glisse ici dans tous les cas un merci à notre amie Tess qui, ayant résidé ici auparavant, nous avait concocté une précieuse liste des choses à visiter ! Il ne doit pas manquer grand chose ;) 

Le centre-ville vu depuis le Mont Ainslie

Au premier plan, le Ovolo Nishi Building...

...et sa façade arrière particulière...

... qui se prolonge à l'intérieur de l'hôtel ! Accès plutôt soft en terme de déco, non ?

Les quais de Kingston, un soir de promenade

Jamais loin des kangourous et volatiles exotiques ! Voilà qui finit bien !

Commentaires

  1. Superbe article ! Merci ! 😍😍😍😍😍

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  2. Ville étonnante!! Elle donne plutôt envie de la découvrir, et niveau architecture, il y a de quoi faire!!!

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