Canberra n’est
sûrement pas la ville la plus populaire ou touristique du pays. Peu de
backpackers s’y arrêtent et ceux qui osent doivent sûrement trouver cette
capitale étrange voire peu attrayante… C’est en tout cas l’impression que nous
avons eu en circulant au milieu de ces rues distendues, aux largeurs égalant
celle d’avenues, loin de l’échelle piétonne habituelle, ou encore en empruntant
les axes de circulation imposants, dessinés telle une grille géométrique où
chaque croisement est occupé par un édifice monumental, qui semble trôner là
comme une sculpture au milieu de sa pelouse, sans personne pour lui faire de
l’ombre. Chaque bâtiment y est ainsi magnifié, mis en scène.
On se doute que derrière ce plan de ville bien conceptuel se cache une
explication, une histoire… Notre curiosité s’est trouvée suscitée ! Alors,
tandis que nous visitions Canberra une semaine durant, jour après jour nous en faisions
aussi l’apprentissage et avons finalement apprécié la découverte.
Lorsqu’en 1901
les colonies australiennes décident de former une fédération d’Etats, la
question du choix de la capitale se présente : Sydney ou Melbourne ?
Que nenni ! Les deux rivales le resteront puisqu’après tergiversations, en
1908, c’est le territoire de Canberra (ACT) qui est élu. Signifiant « lieu
qui rassemble » dans la langue aborigène locale, l’endroit se situe à
mi-chemin des deux villes et à l’intérieur des terres (entouré par l’Etat du
New South Wales). Il possède déjà quelques constructions et fermes de colons
s’y étant installés vers 1825.
Un concours international d’urbanisme est lancé et remporté par un couple
d’architectes américains en 1911 : Walter Burley Griffin et Marion Mahony
Griffin. Le projet repose sur le principe d’une ville en harmonie avec la
nature et tire directement parti du paysage et relief environnant pour mettre
en scène les institutions qui la composent. Les axes principaux définissent un
triangle qui renferme tous les bâtiments importants de la ville. La rivière
Molonglo traverse originellement ce triangle, remaniée en une succession de
bassins ornementaux, plaçant l’eau au cœur de la ville comme élément
d’équilibre indispensable. C’est aujourd’hui un lac artificiel portant le nom
de l’architecte. Les zones résidentielles se développent autour de cet
ensemble, par pôles plus ou moins importants.
Pour l’histoire,
le couple Griffin vint s’installer en 1914 en Australie lorsque Walter fut
nommé « Directeur du dessin et de la construction de la capitale
fédérale ». Mais la progression du chantier est très lente, ralentie par
des méandres bureaucratiques et critiques de certains jugeant le projet trop
extravagant. En 1916, une commission royale met en doute l’efficacité de Walter
en tant que directeur. Il finit évincé du projet en 1920. La construction de
Canberra pâtit des deux guerres mondiales et stagne quelque peu jusque dans les
années 1950, puis connaît une nouvelle expansion pendant les 60s sous la
Commission pour le Développement de la Capitale Nationale. Aujourd’hui, la
ville compte environ 400 000 habitants, c’est une cité aérée dont le plan
ne ressemble à aucune autre en Australie.
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Le plan guide de la ville et les principaux bâtiments du "triangle parlementaire" |
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Depuis Mont Ainslie, nous percevons les axes importants du plan de Griffin |
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Le Nouveau Parlement et le War Memorial se font face. Le Mont Ainslie domine l'ensemble |
Laissez-vous
embarquer dans la suite de cet article comme dans un bus touristique, nous
partons faire la tournée des Canberra’s building 😊
Commencer par le
Nouveau Parlement était obligatoire puisque ce bâtiment est le plus visible de
la ville. Il trône sur « Capital Hill » et son architecture particulière
nous interpelle directement. D’extérieur, nous pouvons percevoir de longs murs monolithiques
réhaussés d’une étrange structure métallique démesurée, vouée à soutenir le
drapeau australien. Un peu mégalo ?! Une visite guidée courte mais de
qualité nous en apprend plus sur ce bâtiment atypique.
Achevé en 1988, le New Parliament prend la suite du Old Parliament après dix
ans de projet et plus d’1,1 billions de dollars dépensés. A nouveau, ce bâtiment
fut édifié suite à un concours international remporté par l’architecte italien
Romaldo Giurgola, l’un des membres de « l’Ecole de Philadelphie »
porteuse du mouvement de l’Architecture Moderne (dont le célèbre Louis Kahn
faisait aussi parti pour les connaisseurs).
Tout, dans la conception du Parlement, porte une signification. Aucun détail,
aucun matériau n’est laissé au hasard.
Entre autres anecdotes, nous apprenons que les 13 doubles portes vitrées qui
mènent au bureau du Premier Ministre sont également situées sur « l’Axe de
la Terre ». Ainsi, si un acte de guerre devait être signé dans le futur, les
portes seraient laissées ouvertes afin que ce dernier ait une vue directe au
loin sur le Mémorial de la Guerre, l’obligeant à bien mesurer l’importance d’une
telle décision.
Egalement, afin que le Parlement ne dépasse pas l’altitude du Mémorial de la
Guerre (pour des raisons symboliques), il a fallu creuser la colline qui l’accueille
et enterrer en partie le bâtiment. La toiture végétalisée rappelle alors l’histoire
de cet emplacement.
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Cette mosaïque au
sol reprend une peinture aborigène commandée spécialement pour le Parlement, représentant
l’Australie de façon symbolique. La terre rouge du centre, l’eau, élément sacré
qui l’encercle et les empreinte des animaux emblématiques du pays tout autour.
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Le Hall principal ouvert au public |
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Le Parlement réalisé en Lego, une façon pratique d'expliquer le lieu ! Le Sénat, paré d'un rouge-rose précis, symbole de la lumière australienne particulière du "red center" |
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Le toit végétal du Parlement est accessible au public |
Lors de notre séjour,
nous avons aussi eu la chance d’assister au lancement du Festival des Lumières
« Enlighten » ayant lieu chaque année dans la capitale, avec des projections
vidéos chaque soir sur tous les bâtiments importants du centre-ville. A cette
occasion, l’Ancien Parlement (Old Parliament) était visitable en nocturne, avec
une ambiance festive dans le grand hall ! Ça nous a rappelé quelques
soirées au Havre comme la fameuse « Nuit des Musées ».
L’ancien Parlement, qui aurait dû être démoli lorsque le Nouveau fut achevé,
est finalement devenu un musée, s’exposant lui-même. On circule dans le
bâtiment dans une ambiance vintage puisque chaque bureau a gardé ses
fournitures et accessoires de l’époque. Machines à écrire, sièges, fauteuils,
vieilles moquettes, cendriers remplis de cigarettes, dossiers éparses … Nous
nous sommes pris au jeu et avons passé une bonne partie de la soirée à flâner
de salles en salles 😊
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La mère Noël au premier plan, c'est cadeau ! |
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Le gouvernement
occupa ce parlement provisoire de 1927 à 1988
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Bureau de Bob Hawke, dernier Premier Ministre a avoir travaillé dans l'Ancien Parlement (cette phrase est compliquée, je vous l'accorde !) Atelier "machine à écrire" pour Valentin et moi, nous avons rédigé une lettre pour les successeurs du van ;) |
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On se prend CARREMENT au jeu ! |
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Ca faisait longtemps que nous n'avions pas eu une sortie en soirée ! L'occasion de tester des "gaufres spéciales" salées asiatiques au Noodle Market du festival (logique) |
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A défaut de les voir en vrai ... |
La visite de
l’Australian War Memorial fut un moment marquant. Dès l’arrivée, une atmosphère
solennelle règne dans ce lieu à la symbolique très forte. Déjà, par son
emplacement au-dessus de la ville et à l’extrémité de l’impressionnante avenue
« Anzac Parade », ce bâtiment semble hors du temps. Passé le fronton,
une cour intérieure conçue comme un cloitre se déploie et dévoile sa beauté,
cachée des regards extérieurs. Le visiteur est coupé du reste de la ville, son
esprit se dédie uniquement au moment présent. Il a face à lui un bassin
recevant la flamme éternelle, encadré par deux galeries aux arches délicates,
et pour unique échappée, le ciel. Au fond, des escaliers mènent au dôme. C’est
la pièce maîtresse du mémorial, abritant la tombe du soldat inconnu. La lumière
y est filtrée par des vitraux bleutés dont la teinte contraste radicalement avec
la coupole dorée éclatante. En s’approchant des murs, le niveau de détail
change : ceux-ci sont tout de mosaïques revêtus, avec une finesse absolue
dans le choix des teintes. Magnifique.
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Les allées Est et Ouest portent les noms des morts des deux guerres mondiales. Les tableaux d'honneurs sont ornés de coquelicots rouges, symbole de la Grande Guerre et hommage aux défunts. |
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Wikipédia nous apprend que : " Les mosaïques et vitraux sont le travail d'un peintre muraliste australien,
Nappier Waller, qui a perdu son bras droit à Bullecourt (1ère G.M) et a appris à écrire et à créer ses oeuvres avec son bras gauche." |
Une fois la zone
commémorative parcourue, nous découvrons en souterrain tout l’espace muséal du mémorial,
et il y a de quoi faire ! Le musée retrace notamment toute l’histoire
des deux guerres mondiales et une extension construite plus récemment, le Anzac
Hall, prolonge la visite en exposant des engins et avions militaires originaux.
Il nous aura fallu pas moins de trois après-midi pour en faire le tour complet !
De quoi se remémorer nos cours d’histoires passés …
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Une discrète galerie de verre relie le Mémorial d'origine et son extension |
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Objets et propagande de la première guerre mondiale |
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Le musée offre une scénographie de qualité. Il présente par exemple certaine maquettes impressionnantes de reconstitution de scènes de batailles |
Sur la rive Sud
du Lac et à l’Ouest du Parlement se développe le quartier des ambassades. La
ville en dénombre 70 au total mais 33 sont situées ici à proximité les unes des
autre. Nous en avons fait le tour en van, en essayant de deviner les pays représentés
grâce au style architectural spécifique de chacune. L’ambassade française n’était
pas vraiment sexy (je ne poste même pas de photo de celle de l’Union
Européenne, c’était la plus laide !), tandis que d’autres ont carrément la
classe comme l’ambassade indienne. L’américaine était facilement reconnaissable :
la seule avec des gardes postés tous les 20 m !
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Je vous laisse trouver la France... |
L’ambassade aborigène,
en revanche, s’est autoproclamée juste en face de l’Ancien Parlement. Occupation
de protestation, elle est constituée de baraques de tôles ondulée et d’un
campement de tentes plantées sur la pelouse. Cette installation date de 1972 et
est occupée en permanence depuis 1992.
Les édifices
importants de la ville affichent des architectures monumentales, très tramées et
certaines façades ne sont pas sans nous rappeler quelques édifices havrais… Mal
du pays ou réelles similitudes ? A vous d’en juger !
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La National Library of Australia, conçue par Bunning et Madden
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Un bâtiment très
photogénique, où nous avons passé nos deux premières journées pour terminer un
travail reçu en architecture.
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Et sur le toit, la piscine ! Ou pas ... |
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Un petit air du Casino
du Havre, non ?!
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Lors du Festival des Lumières |
La Haute Court d'Australie se situe à côté de la Bibliothèque Nationale. Construite selon le style "brutaliste moderne", elle affiche une immense façade de verre cadrée de béton brut, laissant deviner un atrium intérieur démesuré. Ici encore, la géométrie monumentale est de rigueur.
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The High Court of Australia, son parvis d'accès et sa cascade |
Sur la même
ligne, on trouve également la National Art Gallery, construite par les mêmes
architectes : EMBT (Edwards Madigan Torzillo et Briggs). L’emploi du béton est à nouveau magnifié,
tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bâtiment où l’on trouve des murs de
béton finition « bouchardée » (sensation de retrouver notre béton
Perret ?!). La visite fut des plus agréables, traversant à la fois des
collections d’art aborigène local et d’autres incontournables internationaux qu'on ne se lasse pas de redécouvrir.
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La structure triangulée du plafond se prolonge en intérieur du bâtiment |
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Valentin, sceptique devant Pollock !!! Ce petit est perdu ! |
Je retiens tout de même deux coups de cœur. Le premier est pour l’œuvre de
l’artiste japonaise Yayoi Kusama, dont j’espérais un jour voir le travail « en
vrai », l’ayant découverte sur internet il y a quelques années. La pièce
dédiée à son installation est une vraie pépite !
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Un volume cubique revêtu de miroirs trône au milieu d'une pièce bariolée de pois noirs sur fond jaune. Une minuscule ouverture dans le cube révèle son monde intérieur: un univers de lanternes-citrouilles à n'en plus finir ! |
Le deuxième est pour l’installation permanente de James Turrell dans le
jardin du musée : « Within Without ». Une longue passerelle
invite le spectateur à pénétrer dans un espace de méditation intérieur /
extérieur, aux murs couleurs rouge ocre, coupé du reste de la ville. Là, un
volume de basalte est planté au milieu d’un bassin bleu turquoise. A l’intérieur,
une pièce blanche circulaire ne comporte qu’une seule ouverture : un oculus
cadrant le ciel. Le spectateur peut alors s’asseoir et questionner ce rapport
au ciel, à travers cette perception nouvelle, abstraite, qu’il en a.
Plus loin dans notre parcours de la ville, deux bâtiments massifs sont positionnés de façon symétrique de part et d’autre
de « l’Axe de la Terre » : le Trésor Public, dont certaines perspectives nous
rappellent celles d’îlots Perret et le John Gorton Building qui abrite le
ministère des finances. Ces deux constructions sont intéressantes dans leur
conception car chaque façade est traitée avec la même importance, la même qualité
de détail. Il n’y a pas d’idée d’avant ou d’arrière du bâtiment. On peut faire
le tour des ensembles à pied et se demander où se trouvent les entrées principales !
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The Treasury |
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Je suis sûre que l'espace d'un instant, vous vous pensiez au Havre ! |
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The John Gorton Building - JGB |
La visite du
National Museum m’a, en revanche, laissée perplexe. Plantée sur la péninsule du
Lac Griffin, nous avions d’abord aperçu de loin cette construction qui s’est
révélée tout aussi étrange de près. Dès l’entrée, l’amas de couleurs, formes et
matériaux offrent une perception compliquée du lieu. Trop complexe à mon goût… Il
s’avère que cette conception extravagante est en réaction aux traditionnels
musées conçus comme des « boîtes noires », froids et accessibles
seulement aux initiés. Ici, les architectes ont souhaité que le musée s’expose
lui-même, qu’il soit une expérience facile d’accès et ludique, offerte à tout
public. Le dessein est certes louable mais je suis restée, pour ma part, hermétique à la
forme qu’il prend. En tout cas, quoique l'on en pense, chaque élément possède une explication, évoque l'histoire du pays ou s'inspire d'autres architectures mondialement connues.
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L'accès au Musée |
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Les architectes ont développé "la ligne Uluru", un chemin symbolique partant du hall rougeoyant, passant à travers la boucle de 30m de haut et terminant plus loin au niveau de l'Institut Australien des Etudes Aborigènes |
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Ces détails intérieurs du hall principal sont clairement inspirés de l'Opéra de Sydney. Ce jour-là, un "show" avait lieu, une cérémonie de drapeaux traditionnelle italienne ... Une première pour nous et quelque peu étrange !! |
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Cet ajout récent (encore une nouvelle forme !) abrite le café-bar du musée |
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Le centre du bâtiment est occupé par "le jardin des rêves australiens", un espace de promenade agrémenté d'un bassin |
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L'extension récente accueille l'administration du musée. Les façades s'inspirent du QR code renvoyant au site internet de ce dernier ... |
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La "ligne Uluru" se termine par un ruban ondulé qui pointe "conceptuellement" vers le réel site Uluru, situé dans le "red center" australien |
Pour finir notre
tour Canberresque, nous nous sommes promenés dans les quartiers animés du Civic
(centre-ville), Acton en faisant un petit détour par son hôtel de luxe 5
étoiles, le Ovolo Nishi Hotel (juste dans le hall, ne vous enflammez pas !)
et Kingston, au bord des quais.
Il faut bien dire que tout l’intérêt de la
ville réside dans ses institutions, le reste nous a moins séduit. Mon absence de photo en témoigne...
Je glisse ici dans tous les cas un merci à notre amie Tess qui, ayant résidé ici
auparavant, nous avait concocté une précieuse liste des choses à visiter ! Il ne doit pas manquer grand chose ;)
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Le centre-ville vu depuis le Mont Ainslie |
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Au premier plan, le Ovolo Nishi Building... |
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...et sa façade arrière particulière... |
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... qui se prolonge à l'intérieur de l'hôtel ! Accès plutôt soft en terme de déco, non ? |
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Les quais de Kingston, un soir de promenade |
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Jamais loin des kangourous et volatiles exotiques ! Voilà qui finit bien ! |
Superbe article ! Merci ! 😍😍😍😍😍
RépondreSupprimerVille étonnante!! Elle donne plutôt envie de la découvrir, et niveau architecture, il y a de quoi faire!!!
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